Quand on y réfléchit, la tâche qui attend tout réalisateur de préquelle de film culte est des plus délicates : faire découvrir l’oeuvre originale à un nouveau public tout en flattant la cinéphilie des fans de la première heure et en répondant notamment aux questions que l’original laissait en suspens. Révéler les prémisses d’une intrigue connue reste alors une sacrée gageure d’autant que la préquelle anéantie souvent, par sa seule existence, une bonne part du mystère qui faisait la force de l’oeuvre originale. (le “Je suis ton père” de L’Empire contre-attaque n’a plus la même résonance dramatique depuis la sortie de la prélogie).

C’est pourquoi ça me désole quelque peu de savoir que de nombreux spectateurs découvrent aujourd’hui le concept et l’intrigue de The Thing par cette fausse préquelle, d’autant que celle-ci n’atteint jamais le niveau d’excellence de son modèle.

Les producteurs, opportunistes au possible, ont même poussés le vice jusqu’à ne pas faire l’effort de retitrer leur remake. En résulte évidemment une certaine confusion chez les spectateurs d’aujourd’hui qui lorsqu’ils cherchent à voir le chef d’oeuvre de Carpenter tombent parfois sur cette série B divertissante certes mais totalement désincarnée.

Référentiel au possible, The Thing 2011 revient inutilement sur les événements précédents ceux du film original, à savoir ceux expliquant le massacre dans la base norvégienne. Inutilement, car l’intrigue norvégienne servait principalement de ressort scénaristique au film original, exacerbant la peur et les doutes des scientifiques américains à travers des visions d’horreurs silencieuses et carbonisées et ce tout en préfigurant les événements à venir. On se foutait amplement de savoir ce qui était arrivé aux Norvégiens puisqu’on en avait la finalité devant nos yeux. De même, leur découverte de la Chose était amplement expliquée via les dialogues des protagonistes du film original. Nous restait seulement à avoir un aperçu de l’intérieur du vaisseau, ce qui évidemment était loin d’être la priorité de Carpenter dans son chef d’oeuvre, mais que le réalisateur de cette préquelle ne manque pas de filmer dans ses moindres recoins.

Dès lors, impossible de ne pas voir en cette préquelle un vague produit opportuniste, jouant à fond sur l’aspect fan service (oh tiens, une hache plantée ici ! Voilà ce qui explique cela dans le film de Carpenter… Mais qu’est-ce qu’on s’en fout !). Un produit moderne tentant de surfer maladroitement sur la mode des remakes de classiques horrifiques. Matthijs Van Heijningen Jr (j’ai probablement fait une faute) n’a évidemment rien du talent de Carpenter et son film ne fait finalement que reprendre le même schéma narratif du film de 82 en y apportant certes quelques nouveautés intéressantes (plus de test sanguin ici, on débusque la chose autrement, ce qui fait d’ailleurs de l’auteur de ces lignes un suspect en puissance).

Qui plus est, tous les protagonistes se résument à de vagues stéréotypes, presque des caricatures (le vilain patron, le geek froussard, le pilote d’hélico héroïque, son sidekick black et j’en passe). Seul se démarque légèrement le personnage féminin principal incarnée par Mary Elizabeth Winstead, plus connue comme la fille de John McLane. A l’aune de cette piètre caractérisation, le whodunit ne fonctionne jamais vraiment tant il devient parfois trop facile de deviner qui sont les imposteurs.

Néanmoins, il serait malhonnête de qualifier cette fausse préquelle de ratage (encore plus de navet). Tout aussi impersonnelle puisse-t-être sa réalisation, Van Heijningen Jr (le Junior n’est vraiment pas de trop) nous livre quelques scènes efficaces comme le réveil soudain de la Chose (jump scare à l’appui), sa première attaque à travers un mur ou même lorsqu’elle fusionne avec une de ses victimes sous notre regard médusé (ce qui donne évidemment le cadavre bicéphale et carbonisé du premier film). Il faut également souligner la qualité des effets spéciaux mélangeant habilement numérique et effets de plateaux. Une réussite (et pas des moindres) que l’on doit au célèbre duo de Splatter FX Gillis-Woodruff Jr lesquels parviennent avec brio à renouer avec le travail de Rob Bottin sur les effets spéciaux du film original.

Des qualités formelles évidentes qui ne servent hélas qu’un scénario sans réelle ambition narrative. Prévisible de bout en bout, l’intrigue s’achemine inéluctablement vers une conclusion attendue raccrochant in fine les wagons avec le premier film. C’est là tout le paradoxe de l’ironie narrative, raconter une histoire dont on connaît déjà la résolution en répondant aux questions que l’original laissait sciemment en suspens. Ainsi, à trop appuyer ses références, le réalisateur passe complètement à côté de l’essence du premier film (qui reposait sur un climat de tension induit par l’aspect indéterminé de la créature) jusqu’à se planter dans les grandes largeur en voulant donner un visage à la Chose dans son climax. Plus encore, Matthijs Van… le réalisateur ne semble pas un seul moment appréhender l’approche de Carpenter lequel prenait le contre-pied du schéma traditionnel du film de monstre en montrant sa créature dès la scène du chenil pour ensuite privilégier l’angoisse et le climat paranoïaque. Ici, le réalisateur néerlandais semble faire tout l’inverse, ne nous montre au départ presque rien du monstre pour ensuite se vautrer allègrement dans la gratuité des effets spéciaux horrifiques.

Je vous déconseille donc fortement de voir ce film si vous n’avez pas encore vu le chef d’oeuvre éponyme de John Carpenter (et ce, si vous ne voulez pas que le remake/préquelle vous révèle de manière détournée l’essentiel des événements du film original). Pour ceux qui ont vu le film de Carpenter, ce remake n’apportera rien de plus à leur curiosité cinéphile, bien au contraire.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *