Le sang est salissant, encore plus quand il n’est pas humain. Mais une guerre est une guerre, peu importe le belligérant il doit être vaincu, terrassé, asservi. En route pour les étoiles, la fleur au fusil et le coeur palpitant. On sourit à sa soeur d’arme sous la douche, on endure les supplices corporels imposées par la hiérarchie militaire. On ne remet rien en cause, on ne pense pas, on ignore qui l’on est car on n’est finalement personne, seul compte l’esprit collectif et les mérites de l’oligarchie en place. Il suffit de prendre un soldat comme un autre et de l’ériger en héros pour que son nom seul suffise à remonter le moral des troupes anonymes. Nos ancêtres faisaient déjà ça lors des guerres du vingtième siècle. Après tout, la propagande est la meilleure manière de marteler l’esprit des masses jusqu’à ce qu’elles épousent un seul point de vue. Ca marche bien pour les affreux cancrelats d’en face, ça doit toujours marcher pour les humains. L’idéologie comme seul moyen d’asservir les peuples, la propagande pour la véhiculer. Hommes, femmes, enfants tous doivent être conditionnés. Le mérite du citoyen est de nous obéir et de croire qu’il a encore un libre arbitre, alors qu’il ne fait finalement qu’acquiescer à nos ordres. Pour ceux qui résisteraient encore, nos médiums se chargeront de briser leurs volontés, de réduire à néant leurs convictions. Des moutons de panurge, des pions charnus que l’on envoie directement à l’abattoir. Et ils y vont avec le sourire, en plus…

Après avoir réalisé deux chefs d’oeuvre incontournables du cinéma de Science-Fiction dans les années 80, Verhoeven conclut en 1998 avec Starship Troopers ce que l’on pourrait oser qualifier de trilogie futuriste (bien que le réalisateur n’en ait jamais parlé de la sorte).

Véritable OVNI à mi-chemin du space-opéra et du film de guerre, Starship Troopers est une adaptation du roman pro-militariste Etoiles garde à vous de Robert A.Heinlein. Mais loin d’en adopter le propos (Heinlein alimentait son intrigue de thèses politiques de droite en glorifiant l’effort de guerre et en justifiant l’endoctrinement), Paul Verhoeven en prend le contre-pied radical en filmant les événements avec son ironie habituelle, glorifiant lui aussi la bravoure de ses protagonistes pour mieux souligner leur abrutissement.
Car au-delà d’un formidable spectacle belliciste, (oh que oui ! ça flingue, ça hurle, ça démembre) Starship Troopers fonctionne avant tout comme un authentique brûlot anti-militariste, dénonçant l’endoctrinement militaire de jeunes citoyens, incapables de penser par eux-mêmes et de remettre en cause l’idéologie collectiviste qu’ils servent aveuglément. On en revient donc à ces diverses propagandes d’état qui en temps de conflits abreuvent ses plus jeunes citoyens de slogans mensongers pour nourrir ses effectifs sacrifiables.

Le réalisateur s’appuie ainsi sur le même procédé utilisé dans Robocop pour décrire en détails une Amérique future belligérante dont la population se voit continuellement abreuvée de spots publicitaires propagandistes faisant l’apologie du sacrifice individuel, de l’héroïsme et du patriotisme. Un conditionnement continu qui ne subit aucune remise en question, les protagonistes du film apparaissant dès le début du film comme entièrement dévoués à la cause civile, totalement asservis à l’opinion collective.

Verhoeven prend un plaisir évident dans son exposition à dépeindre cette dictature triomphante, véritable dystopie totalitaire aux allures de meilleur des mondes. Il se concentre d’abord sur l’aspect positif d’un système aux progrès conséquents tant sur le plan technologique que scientifique. Les cités urbaines sont propres et lumineuses, la population y est essentiellement jeune, belle, heureuse et en bonne santé. L’humanité se projette désormais au-delà du globe et développe même des capacités extra-sensorielles.
Mais le réalisateur révèle en filigrane le contre-point de ce système prétendument parfait, l’individualité laisse place à l’idéologie collective, la responsabilité civile nécessite le sacrifice individuel qui se remarque à travers les membres amputés de divers personnages, vétérans de guerres révolues, désormais assignés à des tâches subalternes. Les masses sont continuellement conditionnées par les instances médiatiques, lesquelles prônent régulièrement le sacrifice, l’abnégation sous couvert de la notion de citoyenneté telle qu’elle était définie durant l’antiquité. Par ailleurs, les châtiments corporels sont de rigueur et régulièrement retransmis à travers les médias…
Ainsi, à l’opposé de ses avancées technologiques, l’humanité semblent s’être engouffrée dans une régression idéologique et sociale, propre à évoquer les dérives passées de notre Histoire.

Tout entier dévoués à la cause dictatoriale, incapables de penser par eux-mêmes, les jeunes s’engagent aveuglément à servir dans une guerre dont les médias leur cache sciemment l’horreur des champs de bataille. Après une formation éprouvante au coeur de régiments mixtes de troufions ignorants, Verhoeven nous plonge en plein milieu du théâtre des opérations, convoquant sciemment nombre de poncifs du film de guerre, (bravoure et camaraderie à l’appui). Une succession de séquences proprement dantesques, cruelles et drôles, dont l’horreur graphique se voit régulièrement contrebalancé par un second-degré et une ironie distanciatrice bienvenus.

Loin de s’en tenir à un simple étalage de séquences sensationnalistes, Verhoeven poursuit sur sa lancée, étayant son propos critique par l’évolution de son protagoniste, Johnny Ricco, lequel devient en fin de métrage l’emblème médiatique d’une humanité conquérante et triomphante, repoussant les limites de son expansion par-delà les étoiles. Le réalisateur conclut ainsi la trajectoire de son protagoniste en en faisant le parfait instrument du pouvoir dictatorial en place. Il suffit d’ailleurs de voir comment il se fait mener télépathiquement à travers un réseau de grottes souterraines par son ancien camarade, devenu entre-temps un haut-gradé de l’état-major.

Ce même personnage télépathe (et donc manipulateur par essence) devient l’incarnation de la caste dirigeante, arborant un costume fascisant et massacrant allègrement une bestiole dans un spot publicitaire démonstratif. De même, la torture infligée par les humains au cerveau des arachnides en fin de métrage inverse considérablement les rapports de force et bouleverse définitivement l’empathie du spectateur qui se surprend à plaindre l’horrible bestiole bouffeuse de cervelles.

Et Verhoeven de livrer à nouveau un film sans commune mesure dans le paysage science-fictionnel contemporain. En niant toute empathie morale avec ses protagonistes et en se distançant savoureusement de leurs sorts, il se consacre moins à faire l’éloge de l’héroïsme imbécile qu’à observer le résultat de l’abrutissement de l’individu par l’instrumentalisation des médias et des politiques. Non dénués de défauts évidents, dont un trop plein d’action et une direction artistique qui accuse son âge, loin d’être aussi réussi formellement que Robocop dont il emprunte nombre de gimmicks narratifs, Starship Troopers reste néanmoins un film incontournable en matière de science-fiction satirique, un monument de subversion tout aussi intelligent que spectaculaire. Un must dont mieux vaut ignorer purement et simplement les deux suites aberrantes.

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