Pour ceux qui ne connaissent pas Clive Barker, sachez que c’est un auteur peu recommandable. Non pas qu’il n’ait aucun talent et que ses récits soient sans intérêts, bien au contraire. Son oeuvre est un joyau noir de la littérature horrifique et fantastique. Elle se distingue de nombre d’autres oeuvres du genre par sa tonalité extrêmement déviante et ambigu, entremêlant constamment le plaisir à la douleur charnelle. Riche en descriptions érotiques et gores, flirtant parfois avec un doux parfum d’apocalypse, ses récits prennent généralement pour protagonistes des êtres (humains ou non) rongés par leurs pulsions sexuelles et morbides. Le corps chez Barker devient le champ de bataille de pulsions contenues par la frustration qui explosent par le biais d’un catalyseur quelconque (et généralement surnaturel).

Difficilement adaptable au cinéma, car trop subversive et déviante pour se plier aux impératifs des studios, l’oeuvre de Barker (à l’inverse d’un Stephen King par exemple) aura donné très peu d’oeuvres cinématographiques. Les premières adaptations de ses écrits (le calamiteux Rawhead Rex) étant totalement indigente, Barker prit rapidement le problème à bras le corps en portant lui-même à l’écran quelques-uns de ses plus fameux récits, dont le cultissime Hellraiser et le controversé Cabal.

Ce n’est pourtant pas lui qui porta à l’écran sa superbe nouvelle The Forbidden (Lieux interdits) issue du Livre de Sang mais un dénommé Bernard Rose, réalisateur anglais s’étant fait remarqué quelques années plus tôt pour son onirique Paperhouse. Barker lui se contentera d’adapter son récit pour l’écran, restant fidèle aux grandes lignes de la nouvelle tout en approfondissant la psyché de sa protagoniste.

Hélène (Virginia Madsen), une étudiante en sociologie, choisit pour sujet de thèse les légendes urbaines dont une en particulier, celle du Candyman. La rumeur persiste à faire croire à l’existence d’un bourreau venu d’outre-tombe et sévissant dans les cités urbaines environnant Chicago. En mal de reconnaissance, se sentant délaissée voire méprisée par son professeur de mari, Hélène se lance à corps perdu dans une enquête qui l’entraîne au coeur des ghettos noir de Chicago. Là, outre l’agressivité de certains jeunes, elle va se confronter au silence angoissé des habitants au sujet du Candyman. Car aussi incroyable que cela puisse paraître, certaines personnes croiraient réellement à son existence.

Loin de se complaire dans les visions gores et grotesques que l’on serait en droit d’attendre de la part du pape du splatterpunk, Candyman privilégie l’angoisse et une atmosphère toute aussi envoûtante que mystérieuse. Ainsi, le scénario évacue toute forme d’horreur durant le premier tiers du film, se concentrant essentiellement sur le portrait de sa protagoniste et sur son enquête dans un milieu qui lui est hostile. Ignorant les mises en garde et les superstitions, elle va bientôt briser l’interdit en invoquant le légendaire bourreau et ce devant son propre reflet dans un miroir.

Lorsque le récit bascule enfin dans l’horreur, ce n’est pas pour céder à la mode du slasher et présenter une succession de meurtres (façon Freddy Krueger) mais bien pour précipiter son héroïne au seuil de la folie, celle-ci se voyant endosser progressivement les meurtres du fantôme au crochet au point de douter elle-même de son innocence. Et si le bourreau et sa victime ne faisaient qu’une seule et même personne ?

Loin des conventions du genre, Bernard Rose imprègne son film d’une esthétique froide, délétère et funeste qui confère à l’ensemble un atmosphère allégorique soulignée par la partition lancinante du grand Philip Glass (le thème principal hante longtemps les mémoires). Le réalisateur filme ainsi les cités de béton comme des zones hors du temps, des enclaves urbaines livrées aux peurs les plus primales. La société moderne semble ici peu à peu retourner dans ses croyances archaïques, dominées par la peur et la superstition, leurs échos se diffusant à travers les murs de la cité. Les graffitis inquiétants de Cabrini Green y deviennent ainsi de véritables mises en gardes quand à la réalité de certaines légendes urbaines. Immatérielle par essence et condamnée par toute forme de modernité, la légende a besoin d’être propagée pour se préserver de l’oubli. C’est ainsi que l’une d’entre elle semble prendre progressivement forme, nourrie par la crainte de ceux qui en parlent à voix basse. Le Candyman apparaît alors comme un bourreau vengeur dont la seule existence ne tient qu’à la peur qu’il inspire et la persistance de la rumeur. Sans personne pour croire en lui et craindre sa réalité, le Candyman, comme toute superstition, n’aurait plus lieu d’être.

C’est en tentant de comprendre cette notion de superstition propre à l’inconscient collectif tel que défini par Jung que Rose et Barker suivent la trajectoire de leur héroïne, qui de jeune femme aveuglée par ses certitudes et dupée par son mari, devient en raison d’un sacrilège lancé à son propre reflet, une victime expiatoire s’unissant par la force des choses à son bourreau immatériel.

Une trajectoire dramatique éminemment bouleversante qui suffit à elle-seule à ancrer pleinement le long-métrage dans le genre du fantastique, en jouant constamment de l’incertitude de la santé mentale de la protagoniste et de l’existence éventuelle du fantôme au crochet (qui prend ici la silhouette menaçante de l’acteur Tony Todd).

Au final, Candyman s’impose comme l’un des films les plus édifiants du genre. L’intelligence du propos et la puissance dramatique du récit de Barker alliés à l’élégance funèbre de la mise en scène de Rose achèvent de faire de ce long-métrage un authentique chef d’oeuvre du cinéma fantastique et qui plus est, la meilleure adaptation cinématographique d’un récit de son auteur à ce jour.

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