Produit pour à peine 500 000 dollars, May est un de ces objets curieux du cinéma américain indépendant, un de ceux qui imposent indéniablement la patte stylistique et les obsessions d’un véritable auteur. Après avoir réalisé un premier film méconnu et quasi-introuvable (All Cheerleaders Die), Lucky McKee livrait ici un véritable classique instantané, de ces films qui imprègne durablement l’esprit du spectateur par son côté viscéral et son propos dérangeant.

Fort d’une galerie de personnages atypiques allant du punk azimuté à la lesbienne provocante, le film brosse avant tout le portrait tourmenté de sa protagoniste, la dénommée May, jeune femme complexée, solitaire et asociale, incapable d’entretenir des relations normales et saines avec son entourage. Se raccrochant depuis sa plus triste enfance à la compagnie d’une poupée inquiétante en qui elle voit la confidente idéale, May développe un syndrome schizophrène qui se révèle notamment dans la relation d’amour-haine qu’elle entretient avec cette même poupée. En découle à l’image une sorte de fantastique latent qui tout en remettant en cause la santé mentale de l’héroïne n’exclut pas la portée exclusivement surnaturelle de l’intrigue.

Le scénario établit donc un processus d’identification extrêmement retors entre le spectateur et son principal référent. Ainsi, dans sa quête désespérée d’une âme soeur, la petite May devient un personnage tout aussi attachant que pathétique et étrange dans ses obsessions (elle fait une fixation sur les mains “parfaites” de son amoureux) voire carrément effrayant dans ses crises d’hystérie soudaines et dévastatrices. Des sentiments exacerbés que la protagoniste pousse à leur paroxysme dans un dernier acte sanglant qui lorgne habilement sur les meurtres “en puzzle” de grands classiques du genre tels La Résidence ou La maison près du cimetière.

A ce titre, impossible de ne pas saluer la prestation de l’actrice Angela Bettis, ici toute en sensualité maladroite et en colère refoulée. Totalement habitée par son rôle, l’actrice restitue à merveille toute l’ambiguïté schizophrène de son personnage et livre une performance mémorable. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le réalisateur ré-emploiera l’actrice dans quasiment tous ses films suivants (Liaison BestialeThe WoodsThe Woman).

Au-delà du portrait fascinant de sa protagoniste, May se présente également comme une allégorie sur la recherche de l’ami ou du conjoint parfait et s’apparente même sur bien des aspects au mythe de Frankenstein. Incapable de remédier à ses propres défauts, la protagoniste entreprend finalement de façonner elle-même l’être aimé, de manière à reproduire sous des proportions différentes la relation fusionnelle qu’elle entretient avec cette sinistre poupée qui symbolise les derniers vestiges de son enfance. Un remède insensé à la solitude qui précipite la déchéance morale de sa protagoniste et la condamne au plus profond désespoir. De ce gouffre émotionnel répond pourtant cet ultime plan, étrange et réconfortant, ouvrant le récit sur le fantastique le plus inattendu et déconcertant.

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