Après avoir été embauché par le nabab Joel Silver pour réaliser La maison de cire, un honnête second remake du film Masques de cire, le catalan Jaume Collet-Serra remet le couvert au service d’une nouvelle production horrifique Dark Castle. A la seule différence qu’ici, loin de son précédent survival, le réalisateur s’attaque à une horreur plus intimiste et psychologique, adaptant un scénario suffisamment original pour avoir convaincu Di Caprio d’investir quelques billets dans la production.

Dès les premières minutes, le réalisateur nous confronte à l’angoisse qui taraude le personnage de Kate, incarnée avec justesse par Vera Farmiga. Il y a d’abord ce cauchemar atroce puis cette solitude désespérante. Kate est une épouse esseulée au passé tourmenté, puisqu’on apprend au compte-gouttes qu’elle a perdu un enfant, qu’elle s’est sortie de l’alcoolisme et que sa cadette a failli mourir de par sa négligence. Cette angoisse ressentie à travers son personnage c’est donc le poids de sa culpabilité. En voulant adopter une fillette, c’est non seulement une manière de ressouder sa famille après le deuil de l’enfant mort-né, mais c’est surtout un acte de rédemption.

Las, comme on s’en doute bien au vu de l’affiche, la fillette qu’ils décident d’adopter est bel et bien sournoise et perverse, camouflant sa cruauté derrière un masque d’innocente petite fille.

(Attention SPOILER)

Le thème de l’enfant-tueur a été moult fois abordé au cinéma, qu’il soit de nature diabolique ou simplement psychopathe. Esther adopte le second choix, s’ancrant dans un réalisme relatif à l’intrigue tout en introduisant dans sa résolution, l’idée dérangeante que la gamine de neuf ans n’en est pas vraiment une. Esther est en fait une femme adulte à l’aspect enfantin, souffrant d’un dysfonctionnement hormonal la condamnant à garder l’aspect d’une petite fille. Une réalité immuable et cruelle, où la femme qu’elle est mentalement (tout aussi dérangée soit-elle) ne peut se réaliser physiquement. Cet élément explique ainsi tout le malaise distillé par l’attitude d’Esther, tout le long du métrage, son intelligence “précoce”, son étrange maturité et son rapprochement avec son père adoptif. La simple affection enfantine se change alors en rivalité mère-fille et en jeu de séduction incestueux avec le père, culminant dans cette scène dérangeante où Esther, restée seule avec son père adoptif, profite de son désespoir pour tenter une approche séductrice en se maquillant comme une vamp et en tentant de l’embrasser.

Pour autant le thème de la femme prisonnière d’un corps d’enfant n’a rien de nouveau. Quelques autres histoires ont utilisées cette idée sans jamais en faire son argument principal. On pense ainsi au mythique Freaks La Monstrueuse parade de Tod Browning, au personnage de Claudia dans Entretien avec un vampire d’Anne Rice, à celui d’Homer dans Near Dark de Kathryn Bigelow ou même au personnage de Baby Doll dans la série animée Batman de Bruce Timm.

Ce qu’apporte Esther, c’est une nouvelle approche du concept, résolument plus réaliste et ambigu. C’est assurément ce traitement qui fait toute la force du film, cette approche psychanalytique sous forme de complexe d’Electre, favorisant un antagonisme progressif entre l’orpheline et sa mère d’adoption.

Cette dernière se retrouve bientôt désemparée, seule adulte à avoir percée à jour la fillette. En accusant Esther, elle passe pour une folle auprès de tous y compris son mari qui se borne à défendre la fillette contre son épouse. La crédibilité de Kate se voit ternie par son passé d’alcoolique et le diagnostic de sa thérapeute qui la croit surmenée et bonne à enfermer.

Le traitement du personnage de Kate renvoie ainsi quelque peu à celui de l’héroïne de Rosemary’s baby, à la seule différence que le spectateur ne doute jamais de l’état mental de Kate, puisqu’il est aussi témoin des exactions d’Esther.

(FIN DU SPOILER)

Un développement intéressant de l’intrigue non exempt d’incohérences (le père s’obstinant à croire Esther même après le meurtre de la nonne qui venait justement de le prévenir de ses doutes envers les intentions de la “gamine”) et de quelques facilités (le coup de fil du psychiatre d’Esther arrivant à point nommé au moment de la résolution), mais rattrapés par une bonne exposition des enjeux (des éléments essentiels à l’intrigue), un suspense addictif et un casting irréprochable tant dans les rôles principaux que secondaires. La réalisation de Serra est tout aussi subtile qu’efficace, même s’il lui arrive de céder à quelques clichés redondants, dont celui de la fameuse porte qu’un personnage referme, révélant subitement ce qui se cache derrière (ou pas).

Au final, Esther est une réussite indéniable, quasiment irréprochable sur le fond et la forme et promis à devenir un classique du genre.

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