Véritable surprise de l’année 2009, Bons baisers de Bruges s’est depuis taillé une réputation de petite merveille tragi-comique, réussissant à se démarquer par son alternance de tons et l’empathie de son trio de protagonistes, pourtant de vulgaires porte-flingues de la pègre anglaise.

Son réalisateur prouve avec 7 Psychopathes, son second film, qu’il est un jeune réalisateur à suivre dans le domaine du polar à tendance humoristique. Son cinéma, très influencé par les dialogues et l’absurdité contextuelle des premières oeuvres de Tarantino et par les plages contemplatives et l’humour doux-amer de Kitano (dont on voit un extrait de Violent Cop dans le film), ne cesse de désacraliser l’archétype du tueur froid et implacable en en faisant une figure ambivalente, sympathique mais dangereuse.

Mais loin des tueurs à gages de son premier film, c’est bien à la figure du psychopathe pur jus que s’attaque ici le réalisateur-scénariste, lequel nous présente une succession de personnages méchamment timbrés non dénués de gouailles, de sentiments et d’humour. Pourtant 7 Psychopathes est loin d’être une vulgaire resucée de son premier film. La différence majeure entre ses deux oeuvres réside principalement dans l’emploi du second degré, prépondérante dans 7 Psychopathes, quasiment absente de Bons baisers de Bruges.

L’humour d’ailleurs contrebalance systématiquement la cruauté de certaines situations, et McDonagh use continuellement de ce second degré salvateur pour justifier les événements de son scénario. Et même si l’on peut trouver le MacGuffin très (trop ?) tiré par les cheveux (tous les événements découlent d’un kidnapping de… chien) le véritable coeur du film se situe ailleurs, dans cette mise en abîme astucieuse entre réalité et imagination. McDonagh s’en donne alors à coeur joie et se moque savoureusement des clichés inhérents aux films d’action, notamment dans la séquence de la lecture du scénario décrivant une fusillade tout aussi romanesque qu’absurde. De plus, l’intrigue prend de nombreux détours narratifs pour évoquer le passé meurtrier de quelques personnages secondaires qui n’ont en fin de compte aucune réelle incidence sur les événements (le couple de tueurs, le vietnamien) voire totalement issus de l’imagination du protagoniste lui-même (on croit un temps à la future intervention du vietnamien alors qu’il n’est finalement qu’un personnage du film dans le film). Ces digressions auraient pu être rédhibitoires si elle n’appuyaient pas cette comparaison/confusion entre la réalité et la fiction. Un amalgame astucieux qui met en question la crédibilité des événements dans une résolution trop facile immédiatement zappée par une conclusion significative quand au rôle de tout scénariste vis-à-vis de ses personnages. De là à supposer qu’il y ait une part de vécu dans le film…

On retrouve avec un réel plaisir une brochette d’acteurs talentueux incarnant des personnages improbables et savoureux. McDonagh créé une certaine empathie contradictoire pour ses protagonistes, capables du meilleur comme du pire. Colin Farrell retrouve le réalisateur pour incarner le protagoniste, un scénariste alcoolique en panne d’inspiration dépassé par les événements tandis que Sam Rockwell fidèle à lui-même livre une interprétation savoureuse dans le rôle ambivalent d’un psychopathe impulsif et survolté. Christopher Walken quand à lui, retrouve enfin un rôle à la mesure de son immense talent, tout en sensibilité et en humour, tandis que Woody Harrelson cabotine avec bonheur dans le rôle d’un mafieux impitoyable donnant plus de valeur à son chien qu’à n’importe quelle vie humaine. Les personnages féminins restent sous-employés, ce que souligne d’ailleurs un des protagonistes lorsqu’il reproche au héros de ne pas suffisamment étoffer ses rôles féminins.

Le second degré est donc bel et bien de rigueur (ce qui n’était pas vraiment le cas dans le précédent film du réalisateur, une différence notable) et nous arrache quelques barres de rires au détour de situations et de dialogues tout à fait saugrenues (voir cette séquence où Walken refuse de lever les mains quand on le met en joue ou celle où Sam Rockwell se met à imaginer la fin idéale du film). Un humour régulièrement contrebalancé par une violence soudaine et imprévisible, certains personnages étant cruellement sacrifiés au détour de quelques lignes de dialogues. Et même si le scénario subit de fréquentes baisses de rythmes et s’essouffle un peu dans son dernier tiers, force est de reconnaître que l’ensemble emporte largement l’adhésion par son originalité, sa mise en scène inspirée et son interprétation irréprochable. Avec cette seconde réussite, McDonagh prouve qu’il est sans aucun doute un des jeunes réalisateurs les plus inspirés et talentueux du moment.

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