Un hold-up a lieu lors d’une partie de poker dans un tripot clandestin. Tous les soupçons se posent sur le propriétaire de l’endroit, dont tout le monde sait qu’il s’est déjà vendu par le passé. La Mafia engage alors un homme de main, Jackie Cogan, pour enquêter sur le braquage et remonter jusqu’aux coupables. Il apparaît bientôt évident que même innocent, le patron du tripot est devenu gênant et doit servir d’exemple pour prévenir d’autres braquages. Car on ne braque pas la Mafia…

Adaptation du roman “L’art et la manière” de George V.Higgins, “Killing them softly” dresse le constat d’une Amérique en pleine métamorphose jusque dans ses franges criminelles. Les mafieux de l’ancienne école sont ici en voie de disparition, l’honneur et la loyauté n’ont plus court, balayés par l’empire des financiers et des avocats corrompus.
Le personnage de Jackie Cogan incarné à merveille par Brad Pitt, semble en totale contradiction avec son temps. Exécuteur consciencieux et loyal de la pègre, il est sans cesse confronté à l’incompétence de ses associés (dont James Gandolfini en tueur fatigué) et de ses employeurs. Ainsi les commanditaires de Cogan, invisibles d’un bout à l’autre du film, se cachent-ils derrière la personne honorable d’un avocat (Richard Jenkins) qui incarne le nouveau visage de cette pègre moderne, post-11 septembre. On est bien loin de la vision d’un Martin Scorsese et de sa description ordonnée de la mafia.
Jackie Cogan apparaît alors comme le seul personnage fiable du film, faisant office d’exécutant mais également de consiglieri (conseiller mafieux, remember Tom Hagen dans Le Parrain). Un protagoniste à la lisière de l’anachronisme tant ses méthodes old-school contrastent avec celles de ses nouveaux employeurs.
Il faut ainsi voir la scène où son commanditaire confus prend connaissance auprès de Cogan de la meilleure marche à suivre. Face à une mafia qui hésite même à verser le moindre sang, le tueur se rend soudainement compte que son époque est révolue. Cela donne lieu en fin de métrage à une séquence moins anodine qu’il n’y paraît où le protagoniste au détour d’un long monologue adopte pleinement les nouvelles armes du millénaire. Tout ceci avec en fond un discours d’Obama lors de sa campagne présidentielle de 2008 et dans laquelle l’illustre menteur promettait la fin du pouvoir de l’argent et des armes.

Outre son propos profondément politique,le film est servi par une réalisation inspirée et esthétisante (voir la scène d’ouverture ou celle en slow motion) de Andrew Dominik, à qui on doit également le superbe western “L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford”. Le réalisateur apporte une certaine profondeur à ses personnages lesquels se perdent continuellement en digressions savoureuses et parfois confuses. Il s’appuie en outre sur une distribution royale (James Gandolfini, Richard Jenkins, Ben Mendelsohn, Ray Liotta) dominée par la prestation de Brad Pitt, parfait en tueur placide et charismatique. La présence au casting de Ray Liotta et James Gandolfini n’a d’ailleurs rien du hasard tant ils incarnent chacun dans le film une évolution pathétique de leurs rôles les plus célèbres.
Cette somme de talents suffit alors à faire oublier la minceur d’un scénario qui raconte finalement très peu de choses. De même, le rythme alangui du film et ses dialogues parfois interminables pourront rebuter plus d’un spectateur, nostalgiques des bons vieux films de gangsters.

Car “Killing them softly” est avant tout une satire cruelle mettant en évidence de manière volontairement grotesque, les contradictions d’un système (et d’une mafia moderne) dont les décisionnaires semblent incapables d’assumer pleinement le choix de leurs armes et les conséquences qu’il en résulte. Toute course au profit quelle qu’elle soit implique son lot de misères, de sacrifices et de victimes, et les coupables, qu’ils aient les mains sales ou pas, n’ont plus qu’à s’adapter à leur époque ou se condamner à la déchéance la plus pathétique. De toute manière, modernité ou non, aucun crime, aucun meurtre, n’a jamais été commis “en douceur”.

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