Maxence Fermine est un auteur que je découvre avec ce court roman.
Le Violon noir retrace le parcours de Johannes, un violoniste de génie du 18ème siècle, passionné par la musique au point de ne vivre que pour son art. Enfant surdoué, jouant parfaitement du violon à sept ans, il acquit durant ses jeunes années une renommée internationale, se produisant sur toutes les scènes d’Europe et subjuguant tous les publics par son talent hors du commun. A la majorité pourtant, son nom tomba peu à peu dans l’oubli et il se reconvertit en tant que professeur. Caressant le rêve de composer un opéra dont la beauté serait telle qu’il s’adresserait directement aux cieux, ses espoirs volèrent en éclats lorsqu’il fut appelé à servir dans l’armée Napoléonienne durant la campagne d’Italie. Gravement blessé sur le champ de bataille, il ne dut sa survie qu’à l’intervention mystérieuse d’une inconnue. Convalescent, il fut laissé en poste à Venise où on lui assigna pour logement la demeure d’Erasmus, un luthier prestigieux et taciturne, doublé d’un redoutable joueur d’échecs. Se liant peu à peu d’amitié avec le vieil homme, Johannes fut intrigué en trouvant dans l’atelier de ce dernier, un violon noir auquel Erasmus ne faisait jamais mention. Un soir pourtant, lors d’une partie d’échecs, le vieil homme se confia à Johannes et lui raconta ses débuts ainsi que les origines du violon noir dont il prétendait que le son reproduisait à la perfection le chant merveilleux d’une femme qu’il aurait connu jadis.

Le Violon noir est un de ces ouvrages qui se lisent d’une traite. En une quarantaine de courts chapitres, à travers un style simple et harmonieux dénué du moindre mot superflu, l’auteur nous fait tour à tour vivre la solitude d’un enfant surdoué exhibé comme un singe savant, l’horreur des champs de bataille et la splendeur passé de la cité des Doges. Se consacrant tout d’abord au parcours de Johannes, il esquisse à la fois la solitude d’un génie absolu et son amour inconditionnel de la musique. Le portrait du jeune protagoniste en dévoile si peu mais suffisamment pour qu’on s’attache au personnage et à son périple existentiel.
La guerre vient bientôt plonger le jeune Johannes dans le désarroi, lui qui ne se retrouve pas dans les tumultes politiques de son temps. Le destin semble choisir pour lui et venir contrecarrer son voeu le plus cher : celui de composer le plus beau des opéras. Son chemin finit pourtant par croiser celui d’un autre homme de sa trempe, tout entier voué à son art. Rapidement une relation de confiance s’établit entre eux, au point qu’Erasmus le vieux luthier taciturne finit par lui confier le grand secret de sa vie : un amour de jeunesse impossible et la volonté démente de conférer à un instrument la voix parfaite de sa dulcinée.

Ici, l’art imite la vie jusqu’à conférer à un simple instrument l’âme d’une jeune femme. Un propos que l’on retrouvait déjà dans le somptueux conte gothique Le Portrait ovale d’Edgar Allan Poe.
A travers cette allégorie, Fermine nous interroge sur la musique et sur la manière qu’à chacun de la percevoir et de savoir l’apprécier. Tout comme chaque individu à sa propre sensibilité, la musique à ce langage universel dont il appartient à chacun de pouvoir l’interpréter. Mais la musique toute aussi somptueuse puisse-t-elle être ne suffira jamais à atténuer la déflagration des canons et des armes à feux. Ainsi, en temps de guerre, très peu d’hommes sont en mesure de prêter encore l’oreille à la moindre des mélodies. Quand au musicien perdu sur le champ de bataille, tout aussi doué puisse-t-il être dans son art, son talent seul ne lui sera jamais d’aucun secours au milieu des cris et des larmes.
C’est au sortir de cet épisode douloureux que le chemin de Johannes croise celui d’Erasmus. A travers cette rencontre l’auteur oppose et rapproche deux êtres épris d’absolu, étrangers aux tumultes de leur époque puisque tout entier consacrés à leur art. Las, l’Histoire a ses caprices qui ne laisse pas toujours les plus grands talents s’exprimer.
Le récit enchâssé de la vie des deux hommes laisse alors apparaître un même fantôme, le spectre harmonieux d’une femme énigmatique au chant envoûtant. L’un y voit sa dulcinée perdue, quand l’autre y voit la muse salvatrice, celle dont la voix seule suffit à guérir tous les maux, même ceux du mourant. Mais est-ce bien de la même femme dont ils parlent ? Et serait-il possible qu’aux tragédies du passé survivent une aussi belle apparition ?

Maxence Fermine privilégie le symbolisme au réalisme et sublime son histoire par un style élégant et évocateur donnant à son court roman les atours d’une fable initiatique. Sitôt commencé la lecture, le talent de l’auteur est tel qu’on ne referme le livre qu’à la toute dernière page, le coeur conquis et l’esprit léger.

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