On ne compte plus les cinéastes du monde entier qui partent tenter leur chance à Hollywood. Dès qu’un réalisateur creuse son sillon sur la scène internationale, les majors américaines ne perdent jamais de temps pour se l’approprier. Bien souvent pourtant, ces réalisateurs ont du mal à y imposer leur style et leur vision artistique. Ainsi, tout aussi talentueux puissent-être des cinéastes comme Matthieu Kassovitz, Florent Emilio Siri, Paul McGuigan, Hideo Nakata, John Woo et Tsui Hark entre autres, cela ne leur aura pas empêché de se casser les dents sur les impératifs commerciaux hollywoodiens.

Après le succès mondial de Old Boy, la renommée de Park Chan-wook fut telle qu’il ne manqua pas lui aussi d’être courtisé par les majors américaines. Croulant sous leur propositions pendant dix ans, il a pourtant tardé à réaliser son premier film américain. Et lorsqu’il accepte en 2013, ce n’est pas pour proposer un remake facile de l’un de ses propres films coréens (remember Michael Haneke et son Funny Games US), mais bien pour adapter un scénario original (écrit par l’acteur Wentworth Miller) dont le point de départ évoque fortement celui de L’ombre d’un doute d’Alfred Hitchcock.

Adolescente solitaire et asociale, India a récemment perdu son père. Lors des funérailles, elle rencontre son oncle, dont tout le monde semblait ignorer l’existence jusque-là. Charmeur et serviable, il propose de rester quelques jours avec India et sa mère dont les rapports sont plus que tendus. Commence alors un insidieux jeu de la séduction entre les deux femmes et leur hôte.

On pouvait toujours craindre de voir le cinéaste diluer son style sous la contrainte des desideratas de ses nouveaux patrons américains. Au vu du pitch a priori simpliste de Stoker (titre ouvertement explicite, évoquant l’auteur de Dracula), on pouvait même s’attendre à voir Park Chan-wook remiser son intégrité artistique au placard comme tant d’autres cinéastes avant lui. On se sera simplement trompé, et ce malgré l’apparente sagesse graphique de ce nouveau film.

Car même si le réalisateur ne renoue pas ici avec la violence frontale qui aura fait sa renommée, force est d’admettre que le propos du film (qui traite de sexualité, d’attirance incestueuse et de pulsions homicides) n’a rien d’inoffensif. Bien au contraire, le mystère de l’intrigue et l’ambivalence qui se dégage de ses protagonistes évoquent ouvertement les personnages contradictoires des précédentes oeuvres du cinéaste.

D’autant que par sa parfaite connaissance de la grammaire cinématographique, Park Chan-wook fait de ce qui aurait pu être un banal thriller domestique, un sommet de sophistication formelle et symbolique riche en métaphores visuelles, en sous-texte freudien et en suspense. Sur ce dernier point, il suffit de voir comment le réalisateur transforme une banale veillée funéraire en un authentique moment de suspense dans lequel India fait tout pour se dérober à la vue de son oncle.

Dès lors, Park Chan-wook commence à souligner le rapport quasi-télépathique qui lie les deux personnages. Les silences en disent ainsi bien assez sur les errements psychologiques de chacun des protagonistes et sur la tension sexuelle incestueuse qui s’installe entre eux. Le désir prend progressivement forme dans cette confrontation triangulaire jusqu’à attiser la jalousie entre une mère esseulée et sa fille.

L’éveil à la sexualité de cette dernière se révèle alors pleinement en présence de cet oncle séduisant. Preuve en est cette somptueuse scène du morceau de piano interprété à quatre mains ou même la séquence déterminante de la douche qui semble conditionner la sexualité d’India à la seule pulsion homicide.
Riche en symboles évocateurs et en références subtiles, le film peut alors très bien se voir comme un conte initiatique illustrant la métamorphose morale de sa protagoniste, laquelle réalise pleinement sa nature au contact de son oncle.

Le choix du titre lui-même n’est certainement pas anodin en ce qu’il nous évoque l’auteur de Dracula. Le rapport prépondérant du personnage d’India à la nature, son lien télépathique avec son oncle, la volonté de celui-ci de l’initier à ses instincts, et la fameuse séquence du vin, tout ceci tend à souligner la métaphore du vampire tentateur annoncée par le titre. On en verra pourtant pas le moindre croc, juste une symbolisation évidente.

Il faut saluer l’interprétation irréprochable du trio d’acteur. De Nicole Kidman en veuve esseulée à Matthew Goode (Ozymandias dans Watchmen) en oncle tour à tour charmeur et inquiétant, en passant par Mia Wasikowska en adolescente ambigüe, tous incarnent leur rôle avec un talent indéniable.

Il est alors un peu dommage que le scénario ne creuse pas plus en profondeur les tourments de ses personnages. On pourra même lui reprocher quelques facilités narratives, notamment dans le dernier acte.
Ces quelques menus défauts n’entachent pourtant pas le travail exceptionnel de Park Chan-wook qui transcende les failles de son scénario par une mise en scène sidérante de beauté lyrique et baroque. Le réalisateur signe ainsi avec Stoker un authentique chef d’oeuvre en parfaite cohérence avec l’ensemble de son oeuvre.

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