Dans ma petite vie de cinéphile, rares sont les bandes-annonces à m’avoir marqué à tout jamais. En 96, je devais avoir 14 ans, Kassovitz venait de triompher avec La Haine et s’apprêtait à balancer son ultime brûlot sur les écrans. C’est ainsi que je découvris dans une salle obscure cette bande-annonce tétanisante, toute aussi courte qu’intrigante : https://www.youtube.com/watch?v=etUywUc2_Yg

Je ne vis pas le film au cinéma mais à sa sortie vidéo. Dès mon premier visionnage, le film me posa problème. Ce qui est drôle, c’est que près de vingt ans après, le film me pose le même problème, c’est à dire que je ne suis toujours pas en mesure de pouvoir dire si je l’apprécie vraiment. Car non exempt de défauts évidents (Kassovitz verse parfois dans la surenchère inutile), cet Assassin(s) reste suffisamment subversif pour faire durablement réfléchir et marquer à tout jamais la mémoire de ses spectateurs.

Toute société a les crimes qu’elle mérite” nous assène la tagline de ce film à l’époque sujet à polémique et depuis injustement oublié. Kassovitz, plus inspiré que jamais, y dresse avant tout le constat déplorable de la dévolution sociale et médiatique du pays et tire à boulets rouges sur la société désormais révolue des années 90 (mais est-ce pour cela que le film perd de son acuité ?) et notamment sur l’influence d’une télévision aliénante sur la jeunesse.
Il y traite tout d’abord d’un choc générationnel à travers la rencontre d’un vieux tueur professionnel et d’un jeune délinquant qui devient son “apprenti”. L’assassinat se présente ici comme un artisanat nécessitant passion et conscience professionnelle. Aux yeux du vieux Mr Wagner, tout individu n’est plus qu’un animal social prêt à être abattu pour peu qu’on y mette le prix.
Un film réaliste Assassin(s) ? Non, quand même pas. Kassovitz appuie son histoire par un contexte social déliquescent, exacerbé par la banalisation de la violence dans les médias et les jeux télévisés stupides qui entraîne l’indifférence et le désoeuvrement de toute une partie de la jeunesse.
Comment ça, ça ressemble quand même un peu à la réalité ? Vous exagérez, on en est pas à diffuser des séries de meurtres en série en prime time (Esprits Criminels) ou a inonder les chaînes de jeux d’argent dégradants (Money Drop). Alors, réac ou lucide cet Assassin(s) ?
A travers son histoire de tueurs de formation, Kassovitz fustige l’irresponsabilité des médias qui ne véhiculent plus la moindre valeur éthique, et conditionne ainsi une jeunesse désenchantée. Le personnage de Mehdi et son détachement moral devient alors la conséquence principale de cette déchéance médiatique et sociale.

Une de mes séquences préférées (parce que des plus éloquentes) reste celle de la voiture, précédant celle du night club, dans laquelle le personnage de Max demande au vieux tueur à gages s’il n’a jamais eu mauvaise conscience, ce à quoi ce dernier s’emporte et réponds sur un ton des plus rageurs :
Qu’est-ce que tu me fais chier avec ta mauvaise conscience ?! Mais t’as donc rien compris ? La presse, la bouffe, la finance, la politique, tous des pourris t’entends ! Voilà ça c’est des assassins, alors m’emmerde pas ! La mauvaise conscience, tu parles… (…) Mais l’air, tu comprends une chose, l’air même est pourri !!! (Puis sur un ton plus calme) Des assassins, évidemment qu’il y en a des assassins.

Le terme-même d’assassin ne désigne donc plus ici seulement les tueurs à gages mais bien toute une partie de la population des nantis privilégiant le pur profit à toute morale et valeur humaine. Les industriels nous empoisonnent quotidiennement par leur produit polluant et leur bouffe douteuse, les politiques se fichent continuellement de nous en nous berçant de douces promesses qu’ils savent bien être incapables de pouvoir tenir, la presse, elle, se nourrit essentiellement du malheur d’autrui, les médias privilégient l’audimat à toute éthique et les financiers détiennent le monde et jouent avec comme sur un simple échiquier.

Peut-être Kassovitz s’attarde-t-il trop à étudier la mécanique du meurtre de sang froid et l’inhumanité (ou l’humanité) de ses protagonistes, peut-être se vautre-il également dans la dénonciation gratuite et la provocation à outrance, toujours est-il qu’il ne se prive pas de rappeler certaines vérités toujours d’actualité au 21ème siècle et donc encore bonnes à entendre.

Impossible de ne pas évoquer l’interprétation de Michel Serrault, étonnant dans un rôle à contre-emploi de vieux tueur froid et impitoyable, déterminé à former un successeur. Cet apprenti il le trouvera d’abord en Max (incarné par Kassovitz lui-même), jeune cambrioleur et voix-off d’une grande parti du film, avant que le réalisateur ne brise subitement les règles de la narration conventionnelle en le condamnant au silence.

Vous pourrez donc aimer ce film mais difficilement l’adorer, ou vous pourrez tout simplement le haïr infiniment et de tout votre coeur. Toujours est-il que cet Assassin(s) ne vous laissera certainement pas de marbre.

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