Wilson, un anglais sur le retour, taciturne, mince, les traits émaciés et le regard glacial, débarque à Los Angeles. Taulard au long cours, tout juste libéré de prison, il a immédiatement quitté l’Angleterre pour “la Cité des Anges” quand il a appris le récent décès de sa fille Jennie, qu’il n’a pas revu depuis une vingtaine d’années. Les zones d’ombres autour des circonstances de la mort de la jeune femme restent nombreuses et l’anglais en vient très vite à soupçonner le riche petit ami de sa fille, un dandy vieillissant dénommé Terry Valentine, de l’avoir tué. Epaulé par Eduardo, son seul guide dans un pays qu’il découvre, Wilson est déterminé à démêler le vrai du faux et gare à ceux qui se mettront en travers de son chemin.

De son titre original The Limey (“le rosbif” en argot amerloque), L’Anglais se situe dans une période très prolifique pour le réalisateur Steven Soderbergh. A peine sorti du tournage de son excellent Hors d’atteinte et avant de s’atteler tour à tour à Erin Brockovich et Ocean’s eleven (qui lui vaudront la reconnaissance de la critique et surtout du public, tout cela en l’espace de cinq petites années), le réalisateur surdoué signait pourtant avec L’Anglais un de ces films les plus méconnus à ce jour.

Le film, classieux dans la forme, porte indéniablement la patte stylistique du Soderbergh des débuts. Un savoir faire indéniable dans la manière d’aborder une histoire de vengeance sous tous les angles. Pas de manichéisme opportun ici, Soderbergh transcende une intrigue minimaliste pour se consacrer au parcours de son personnage principal, sans négliger pour autant les rôles secondaires.
Face à un Peter Fonda tour à tour charmeur et angoissé et à un Barry Newman parfait en vieux bras-droit imperturbable, Terence Stamp prête son charisme impérial à ce gangster anglais de passage en Californie, déterminé à venger sa fille (la très belle Melissa George à ses débuts) qu’il a totalement perdu de vue du fait de ses longues années passées en prison. Jennie, une jeune femme sensible et colérique, désespérément à la recherche de cette affection, de cette attention paternelle dont elle aura manqué durant toute sa vie. Il faut également saluer l’interprétation comme souvent impeccable du trop méconnu Luis Gusman (Eduardo), fort attachant en sidekick plein de sagesse, témoin privilégié de l’enquête de Wilson.

Somptueux de bout en bout, The Limey alterne les scènes de violence radicale, d’humour noir et d’émotions, non sans quelques parti pris audacieux de mise en scène (voir cette fusillade hors champ dans l’entrepôt ou le meurtre discret et silencieux d’un vigile en arrière plan lors de la première réception dans la villa de Valentine).
Qui plus est, et comme à son habitude (Soderbergh est avec Tarantino le réalisateur qui a remis au goût du jour les intrigues non-linéaires et les inserts subtiles de moments passés), le réalisateur parsème son film de courts flash-backs intimistes (en réalité des extraits du film de Ken Loach Pas de larmes pour Joy mettant en scène un Terence Stamp juvénile) qui ajoutent à la puissance émotionnelle de l’histoire jusqu’à conclure son métrage sur une note inattendue.

Les plages contemplatives sont nombreuses, un travail exceptionnel a été fait sur les éclairages alternant luminosité froide et séquences crépusculaires, sublimant les images et les visages, dont celui usé et émacié du trop rare Terence Stamp.
Les longs silences de son personnage, le taciturne Wilson, en disent suffisamment et le réalisateur nous fait part des souvenirs qui le tourmentent, à savoir ceux d’un passé heureux et définitivement révolue du jeune père qu’il était et de sa petite fille qu’il n’a jamais vu grandir et qu’il n’aura finalement jamais vraiment connu.
Très proche du magnifique Crossing guard de Sean Penn, tant les deux films partagent les mêmes thématiques du deuil impossible et de la culpabilité paternelle, L’Anglais n’en reste pas moins très différent dans son approche frontale et parfois musclée.

Au final, Soderbergh signait là un autre petit bijou cinématographique, un polar froid naviguant entre violence brute, humour subtile et drame intimiste. Une perle que je ne peux que vous inviter à découvrir.

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