Que dire de plus que ce qui a déjà été dit sur ce film ? Heat est un des plus grands polars urbains de l’histoire du cinéma, une romance impossible, une tragédie contemporaine et un duel au sommet.
Confrontant deux des plus grands acteurs de notre époque lesquels n’avaient fait jusque-là que de se croiser sur Le Parrain 2 sans y partager une scène commune, le film de Michael Mann se repose sur un scénario efficace, adaptant le téléfilm L.A. Takedown qu’il avait lui-même réalisé en 1989.
Magnifiant chacune de ses séquences par une formidable mise en scène, Mann livre ici probablement son meilleur film, lequel fera date et servira d’influence à nombre d’autres réalisateurs dont Christopher Nolan pour son The Dark Knight.
Le réalisateur tire le meilleur de son casting, premiers comme seconds rôles, dressant une galerie de portraits de personnages abîmés, blasés, des deux côtés de la loi. Il y a De Niro, le bandit méthodique et implacable, Pacino, le flic nerveux et obsédé par son boulot mais il y a aussi Kilmer, Sizemore, Judd, Portman, Levine, Gage, Fichtner, Voight, Noonan, Trejo, Studi et j’en oublie.
La première confrontation “tranquille” sous forme de discussion cordiale dans le resto-route est au-delà d’une scène mythique et opportuniste, la mise en présence de deux formidables archétypes cinématographiques, incarnés par deux acteurs de légende au crépuscule de leur carrière. Par le biais d’un habile champ/contre-champ, chacun s’y renvoie la balle à travers un dialogue minimaliste, chacun confie sa détermination à faire ce qu’il sait faire de mieux. L’un apparaît comme le parfait pendant de l’autre. La ligne de démarcation devient dès lors ténue entre flic et malfrat au point que le duel final prendra des allures de traque fratricide (McCauley ne confie-t-il pas lors d’une réplique anodine qu’il a un frère quelque-part ?).
Cet éternel antagonisme condamne chacun des partis à n’avoir aucune attache, aucune vie sentimentale, sacrifiant à leur profession leur vie privée. Les personnages féminins en font d’ailleurs les frais. Les femmes occupent une place particulière dans l’oeuvre, partagées entre amour, abnégation et ressentiment pour leurs compagnons.
Les morceaux d’anthologies se succèdent au fil des trois heures de métrage, tantôt intimistes, tantôt furieux comme cette formidable séquence centrale de la fusillade en pleine ville, reléguant le temps de quelques minutes le quartier financier de Los Angeles a une zone de guerre urbaine assourdissante, une scène sans commune mesure dans son genre tant elle transpire de réalisme. Chaque coup de feu y résonne comme une déflagration propre à anéantir les personnages et la ville toute entière. Mais il y a aussi ce braquage du convoi blindé qui vire au bain de sang, ce règlement de comptes décisif avec le traître Waingro et cette confrontation finale, oppressante, déchirante.
Ponctué de formidables séquences d’actions, Heat s’inscrit comme un condensé du cinéma de Michael Mann, sec, intimiste, contemplatif, crépusculaire.
Ici, les flics portent le fardeau de leur métier, blasés par toutes les scènes de crimes traversées, imperméables à toute vie sentimentale. Ici, la loyauté entre criminels n’est plus qu’une notion abstraite et fallacieuse, balayée par le monde des affaires. Et lorsque le criminel en cavale s’autorise à espérer refaire sa vie en compagnie de la femme qu’il aime, c’est à deux doigts de son salut qu’il fait marche arrière et se condamne dès lors à tout perdre.
C’est alors sur une mélodie lancinante et sur la solitude d’un personnage, vainqueur et vaincu, que se referme le film, sublime et inégalable.
Heat c’est l’apogée d’un genre, privilégiant les personnages et leurs trajectoires, et les sublimant par une réalisation en état de grâce. Un authentique chef d’oeuvre, en noir et bleu.