Fort d’un parcours professionnel chaotique, jalonné de péloches tantôt excellentes (Session 9The Machinist) tantôt médiocres, Brad Anderson n’a rien d’un dilettante. S’étant attiré le mépris de sa profession suite à certaines déclarations ouvertement critiques envers le système Hollywoodien, il se trouva contraint de diluer son talent dans la réalisation de produits télévisés de plus ou moins bonnes factures, emballant quelques épisodes de séries prestigieuses comme The ShieldSur écoute et Masters of horror.

Il revint finalement au cinéma par la petite porte avec un inégal Transsiberian (2008) avant de s’atteler à cet Empire des ombres (Vanishing on 7th street) dont la production chaotique et une promotion inexistante relégua le film, sitôt après sa sortie en 2010, sur les rangées des rayons promos des grandes surfaces. Les difficultés de production se ressentent d’ailleurs quelquefois à son visionnage, notamment dans son dernier acte bâclé que bon nombre des rares spectateurs ayant vu la péloche se sont accordés à critiquer. C’est indéniable, la fin est nulle et personne ne s’est privé pour le dire.

Oui mais, et ce qui précède alors ? Tout y est-il à jeter ? Certainement pas.
Jugez plutôt sur le pitch. A la faveur de l’obscurité totale, suite à un black-out, la population quasi-entière de Détroit s’est évaporée, sans explication plausible. Ne subsiste d’eux que leurs vêtements jonchant les trottoirs et leurs voitures vides. Seuls quelques personnes sont encore de ce monde, épargnés grâce aux sources de lumière qu’ils ne quittent plus, seule arme pour les protéger de la voracité d’ombres rampantes et de nuits de plus en plus longues. Quatre d’entre eux trouvent bientôt refuges dans un petit bar aux lumières vacillantes tirant sur les derniers ressources d’un générateur électrique. Alors qu’il est 11 heures du matin et qu’il fait nuit noire dehors, les survivants spéculent sur ce qu’abritent les ténèbres et sur leurs chances de leur échapper.

Une idée alléchante (quoique déjà abordée en littérature) mais traitée de manière trop classique.
La trame reste simpliste, faussement originale et maintes fois déclinée : la rencontre d’une poignée de survivants terrés dans un refuge de fortune se serrant les coudes face à l’urgence de la situation (les ombres gourmandes n’attendent que ça pour fondre sur eux) et à un phénomène inexplicable et d’ampleur probablement mondiale.
Cela commence par une scène d’ouverture assez convenue, se poursuit sur le réveil du “héros” et sa découverte d’une ville désertée à la manière d’un 28 jours plus tard (le punch en moins), s’autorise une ellipse de quelques heures pour embrayer sur un huis-clos dans un bar encerclé par l’obscurité affamée, avant de se terminer par la fuite désespérée des survivants et les sacrifices de rigueur qui en découlent.
Certes l’originalité n’est pas de mise, les péripéties prévisibles et les personnages un rien stéréotypés (sauf qu’il y manque le bon gros connard insidieux dont le rôle est d’emmerder le monde), mais l’intrigue et la réalisation nous réservent tout de même quelques bons moments de tension. Les ombres se dotent d’une vie propre, murmurent et restent toujours à l’affût des vivants. L’apocalypse silencieuse est représentée par ces vêtements qui jonchent le sol, dernières preuves de l’existence des êtres et de leur disparition. Les armes à feux inefficaces sont rapidement laissées de côté pour privilégier toute source de lumière capable de repousser les ombres. Les personnages se retrouvent désemparés et hantés par le deuil impossible de leurs proches disparus sans qu’ils puissent savoir ce qu’il leur est advenu. Et puis il y a cette scène intrigante où un des protagonistes ne cessent de se répéter “J’existe” pour mieux s’en convaincre alors que les ténèbres se referment doucement sur lui, le condamnant à disparaître.

Non, tout n’est pas à jeter dans L’Empire des ombres, loin s’en faut. Qui plus est l’histoire se passe à Détroit, défunte capitale de l’industrie automobile, aujourd’hui lourdement frappée par la crise économique, la pauvreté et le dépeuplement. Le choix de prendre cette ville pour cadre de l’intrigue n’a donc rien d’anodin et apporte même un sous-texte intéressant à l’ensemble.
Le film bénéficie en outre des prestations de trois acteurs talentueux et trop rares, ainsi que par la réalisation efficace d’Anderson qui, comme à son habitude, refuse la facilité du trop plein d’effets spéciaux. Ses ombres rampent et gémissent, se coulent vers les vivants et les dévorent sans effets tape à l’oeil.

Reste alors le point fâcheux, cette fin décevante et bien trop allusive. Pourquoi bâcler le film de cette façon ? Parce qu’il fallait bien le finir d’une manière ou d’une autre et que ne pouvant trouver d’explication valable aux ombres voraces et à cette fin du monde silencieuse, les auteurs se prennent les pieds dans le tapis et tombent dans le traditionnel piège narratif du développement impossible à résoudre. En résulte, cette conclusion inoffensive et frustrante qui renvoie un peu à celle, plus frustrante encore, de l’apocalyptique Prédictions d’Alex Proyas.
A l’aune d’un tel dénouement, il sera tentant de reléguer l’intégralité du film au rang de simple navet. Ce qui serait injuste tant tout ce qui a précédé a su nous intriguer, titiller notre curiosité et nous faire croire à un véritable dénouement. Qui plus est, Anderson n’a rien d’un débutant et il sait traduire l’urgence et l’angoisse des personnages à l’image.

Un film non exempt de défauts certes, tous imputables au scénario qui plus est, et qui ne suffisent pas à condamner le jeu des acteurs, la qualité de la réalisation et le film dans son intégralité.

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